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11. La cellule cancéreuse et le tissu cancéreux

Le cancer est un processus cellulaire: c’est l’apparition, à partir d’une cellule normale, d’une population de cellules de morphologie et de comportement généralement anormaux. C’est une transformation cellulaire: il y a perte de certains caractères normaux et acquisition de nouveaux caractères qui se transmettent aux cellules filles.

9-1-La cellule cancereuse

La cellule cancéreuse possède de nombreuses caractéristiques la différenciant d’une cellule normale. Ces caractéristiques sont dues à une instabilité génique d’origine génétique ("génétique somatique") qui conduit à une succession d’anomalies moléculaires, donnant au clone cellulaire tumoral un avantage sélectif et permettant sa croissance aux dépens des cellules normales.

Ces caractéristiques sont de plusieurs ordres. On peut arbitrairement distinguer les anomalies morphologiques, les anomalies de la croissance et de la prolifération cellulaire, les anomalies génétiques.

9-1-1- Anomalies morphologiques

L’appréciation des anomalies morphologiques cellulaires constitue un critère majeur du diagnostic des cancers (cytologie des cancers). Ces anomalies ne sont que la conséquence phénotypique de multiples anomalies moléculaires : anomalies des molécules d’adhérence, du cytosquelette, des organites intracellulaires, anomalies de la chromatine, anomalies chromosomiques (ploïdie).

L’étude morphologique peut porter sur des prélèvements cytologiques comportant des cellules indépendantes ou en amas, étalées sur une lame (frottis). Cette technique permet l’analyse optimale des détails cytonucléaires, mais reste un examen orientatif, avec certaines limites, imposant un contrôle histologique complémentaire, quasi obligatoire pour le diagnostic du cancer. L’examen histologique permet en effet de mieux apprécier les anomalies , en particulier l’architecture et le degré d’invasion, qui échappent à la cytologie.

9-1-1-1- Caractères cytologiques de malignité

- Anomalies du noyau

Des anomalies encore mal connues de la conformation et de la strucure de la chromatine ainsi que des anomalies quantitatives du matériel chromatinien, en particulier la ploïdie, sont à l’origine de multiples anomalies nucléaires.

Les principaux critères nucléaires de malignité sont:
- L’augmentation de la taille nucléaire, entraînant une augmentation du rapport nucléo-cytoplasmique
- L’anisocaryose (noyaux de taille inégale d’une cellule à l’autre)
- L’hyperchromatisme nucléaire (noyaux foncés, hyperbasophiles, à chromatine dense)
- La répartition anormale de la chromatine, en mottes
- L’épaississement de la membrane nucléaire et l’irrégularité des contours nucléaires
- La multinucléation (une cellule tumorale peut avoir plusieurs noyaux)
- Les nucléoles multiples, volumineux, irréguliers
- L’augmentation du nombre de mitoses avec présence de mitoses anormales (tri- ou tétrapolaires)
- Anomalies du cytoplasme
- L’anisocytose (taille variable des cellules) avec un cytoplasme moins abondant
- L’aspect basophile du cytoplasme (par augmentation de son contenu en acides nucléiques et en protéines)
- La présence d’inclusions (par exemple des amas de filaments intermédiaires) ou de vacuoles (de lipides, de glycogène ou de mucines) permettant d’apprécier le degré de différenciation des cellules tumorales

La différenciation cellulaire peut aboutir à une maturation (apparition de la fonction), généralement incomplète.

- Augmentation du rapport nucléo-cytoplasmique
- Soit par augmentation de la taille nucléaire
- Soit par diminution de l’abondance du cytoplasme
- Soit par les deux

Cependant, des cellules non cancéreuses, réactionnelles peuvent présenter des anomalies identiques au cours des processus inflammatoires, des viroses, après irradiation... De plus, aucun de ces caractères morphologiques n’est constant; une cellule cancéreuse peut avoir une morphologie normale.

Il faut donc retenir que:
- il n’existe aucun critère pathognomonique de la cellule tumorale maligne • il faut regrouper un faisceau d’arguments pour parvenir au diagnostic • une cellule de morphologie tumorale ne fait pas à elle seule la tumeur • une cellule de morphologie tumorale peut être normale et inversement une cellule de morphologie normale peut être tumorale • les critères de malignité varient en intensité en fonction du type de tumeur auquel on a à faire et de son degré de différenciation • tous les critères ne sont pas réunis dans une même cellule et ils doivent être recherchés dans différentes cellules

Les anomalies cytologiques permettent l’identification de cellules cancéreuses (dépistage du cancer) au sein de frottis (frottis cervico-vaginaux), de produits d’expectoration (cytologie des crachats), de liquides biologiques (épanchement pleural, péricardique, péritonéal, liquide céphalo-rachidien, lavage broncho-alévolaire), de ponctions de ganglions lymphatiques ou d’organes profonds (guidées par échographie ou par tomodensitométrie).

Le cytodiagnostic a une valeur d’orientation. Si besoin est, il doit être confirmé par l’étude histologique d’une biopsie ou de la pièce opératoire.

Pour un même type de tumeur, l’intensité de ces anomalies est variable et permet de définir des grades de malignité des tumeurs en fonction de l’importance des altérations morphologiques des cellules du clone tumoral, en particulier nucléaires.

Cette " gradation " (grading) des tumeurs permet, pour un type tumoral donné, de définir des tumeurs de faible malignité (bas grade) et des tumeurs de haute malignité (haut grade). Dans de nombreux modèles tumoraux, un haut grade est corrélé à un mauvais pronostic ("grade histopronostique").

9-1-2- Anomalies de la croissance et de la prolifération cellulaire

L’homéostasie tissulaire est liée à un équilibre entre la prolifération (nombre de cellules en mitoses) et la mort des cellules (nombre de cellules en apoptose). La caractéristique principale des cellules tumorales est la mauvaise régulation de cet équilibre. Par exemple, les cellules tumorales peuvent croître en l’absence de stimuli mitogènes ou par phénomène autocrine.

- Les troubles de la différenciation. Dans un organisme normal, les cellules issues d’une cellule souche se différencient grâce à l’expression séquentielle d’un ensemble de gènes permettant à la cellule d’exprimer son phénotype (phénotype mature) et d’assurer sa fonction, parfois hautement spécialisée (différenciation terminale). Au sein d’une tumeur, les cellules présentent des troubles de la différenciation. Elles peuvent être bien, moyennement ou mal différenciées. En l’absence de tout critère de différenciation, on dit que les cellules sont indifférenciées. La tumeur est dite alors anaplasique.

- La transplantabilité. Les cellules tumorales explantées peuvent pousser dans des milieux de culture ou dans des gels semi-liquides. Les cellules tumorales peuvent croître après transplantation chez des animaux syngéniques ou chez des souris ayant un déficit immunitaire telles que la souris nude (souris athymique) et la souris SCID (Severe Combined ImmunoDepression). Cette caractéristique est appelée transplantabilité. A l’inverse, il est difficile d’établir des lignées de culture de cellules normales différenciées et spécialisées.

- L’immortalité. Une cellule normale en culture ne se divise qu’un nombre donné de fois. Ce nombre de divisions varie d’un type cellulaire à l’autre; il dépend de l’âge du donneur (40 passages pour les foetus). A l’issue de ces divisions, elle "meurt" par un phénomène d’"apoptose". Ce phénomène joue certainement à l’état physiologique un rôle dans les phénomènes de sénescence. A l’inverse, certaines cellules tumorales malignes survivent indéfiniment dans un milieu de culture. Cette caractéristique est appelée "immortalité" et permet l’obtention d’une lignée tumorale. Ainsi, la lignée de cellules HeLa est une lignée de cellules tumorales issues d’un carcinome du col utérin il y a plusieurs dizaines d’années.

- La perte de l’inhibition de contact. Sur le fond d’un flacon de culture cellulaire, les cellules normales cessent leurs mouvements et leur division lorsqu’une couche monocellulaire est réalisée. Cette inhibition de la croissance par la densité cellulaire est appelée "inhibition de contact". A l’inverse, les cellules tumorales en culture s’entassent et forment des amas multistratifiés : il y a perte de l’inhibition de contact.

- En culture, les cellules tumorales ne requièrent que de faibles concentrations de milieu nutritif. Ces caractéristiques montrent l’indépendance des cellules tumorales vis-à-vis des facteurs de croissance contenus dans le milieu, d’une part, et de l’environnement cellulaire, d’autre part. Ces 2 éléments régulent la croissance par les récepteurs des facteurs de croissance et par les molécules d’adhérence exprimées à la surface de la cellule.

• La cohésion des cellules tumorales entre elles est diminuée, suite à des anomalies de régulation des molécules d’adhérence.

9-2- Le tissu cancéreux

Le tissu cancéreux est constitué : . des cellules cancéreuses proprement dites, groupées en formations ayant plus ou moins une architecture reconnaissable . du stroma, c’est-à-dire d’un tissu conjonctif non tumoral, assurant le soutien et la nutrition de la tumeur

9-2-1- Les cellules cancéreuses

Les cellules cancéreuses s’agencent entre elles pour réaliser ou ébaucher des structures architecturales (agencement trabéculaire, glandulaire, tubulo-papillaire, en faisceaux, etc...) qui vont permettre au même titre que la cytologie de définir le type de la tumeur (cf chapitres 11 et 12).

9-2-2- Le stroma tumoral

Le stroma tumoral est un tissu conjonctif néoformé fourni par l’hôte, assurant le soutien et la nutrition des cellules tumorales.

Il représente une modification du tissu conjonctif de soutien normal de l’organe, qui s’adapte à la prolifération tumorale et à la destruction du tissu normal. Il est en remaniement constant, puisqu’il doit suivre la croissance de la tumeur; si celle-ci est rapide, la nutrition est insuffisante et le tissu cancéreux se nécrose.

Le stroma est constitué de cellules conjonctives normales et d’une matrice extracellulaire contenant des fibres collagènes et élastiques, des vaisseaux sanguins et lymphatiques, et même des nerfs.

Dans certaines tumeurs (carcinomes endocriniens différenciés, carcinome hépatocellulaire), le stroma s’adapte (stroma adaptatif) à la différenciation de la tumeur, il devient fin, vasculaire, de type endocrine. L’angiogenèse induite par la tumeur est un des facteurs principaux de son développement, ayant un double rôle : nutritionnel et dans l’envahissement et la dissémination à distance des cellules tumorales.

Types de stroma

- Le stroma peut être le siège d’une réaction inflammatoire (stroma inflammatoire). Cette "stroma réaction" peut présenter un aspect exsudatif (oedème), être très cellulaire ou riche en collagène (fibrose). On a parfois donné au stroma une valeur pronostique: une stroma-réaction riche en amas lymphoïdes témoignerait d’une réaction immunologique au cancer. Cette réaction inflammatoire est, dans certaines tumeurs, corrélée avec un meilleur pronostic, comme dans les adénocarcinomes coliques ou les mélanomes. Cependant, dans le carcinome mammaire, une importante réaction inflammatoire est corrélée avec un pronostic défavorable.

- L’abondance et la structure du stroma conditionnent l’aspect clinique et macroscopique du cancer. Ainsi le "squirrhe" mammaire et la "linite" gastrique sont des tumeurs où un stroma fibreux très abondant donne à la tumeur une consistance dure.

- Le stroma tumoral peut être le siège de métaplasie (élaboration de cartilage, d’os), de dépôts amyloïdes (carcinome médullaire de la thyroïde), d’imprégnations calcaires (calcosphérites).

- Le stroma peut être fin, vasculaire, de type endocrine. Si le stroma est souvent abondant et facile à voir dans les carcinomes, il est par contre difficile à distinguer dans les sarcomes.